Comment faire face à un manager toxique quand on travaille dans un cabinet comptable ?

Vie & bien-être au travail
10
min
Publié le
30/10/24

L'invité de cet article

Patrick Collignon
Patrick Collignon est Coach Business pour Executive Manager et expert en stratégie relationnelle. Il a aussi publié 6 ouvrages aux éditions Eyrolles, dont « Le Management Toxique - Harcèlement, intolérances, missions impossibles... comment s'en sortir ? » (2023). Sa conférence TedX « Enfin libre d'être moi » comptabilise plus de 200 000 vues sur Youtube.

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Sommaire

Entre les deadlines serrées, les règles strictes à appliquer et le stress des périodes fiscales, travailler en cabinet d’expertise-comptable apporte son lot de tension.

Ajoutez à cela un manager toxique, et vous vous retrouvez dans une situation explosive 💣

Le travail quotidien peut alors devenir un véritable fardeau. 

Face à un manager toxique, les collaborateurs finissent souvent désorientés, sous une pression qui peut nuire autant à la qualité de leur travail qu’à leur santé mentale.

Les conséquences se font rapidement sentir au sein de l'équipe : absentéisme, turnover, erreurs comptables à répétition et, plus grave encore, burn-out. 

Alors, comment identifier un manager toxique en cabinet comptable (ou en entreprise) et, surtout, que faire pour s’en protéger ? 

C’est ce que nous allons explorer dans cet article, grâce aux conseils de Patrick Collignon, coach certifié, conférencier TEDx et auteur de l’ouvrage Le Management Toxique - Harcèlement, intolérances, missions impossibles... comment s'en sortir ? (Eyrolles, 2023).

Comment reconnaître un manager toxique en cabinet ?

Voici les 3 éléments à surveiller de près : 

1. Un manager toxique impose sa manière de travailler

Comme l’explique Patrick Collignon : « Un manager toxique va notamment imposer sa propre manière de faire, même si cela va à l’encontre des pratiques du cabinet, ou de l’éthique. »

Une pratique loin d’être isolée, puisqu’une étude a montré que 59% des travailleurs avaient déjà été sous l’emprise d’un micro-manager au cours de leur carrière.

Mais pourquoi ce comportement est-il si problématique, surtout dans un environnement aussi structuré que celui de la comptabilité ?

D’abord, parce que ce type de management crée un environnement de travail anxiogène, où les collaborateurs se sentent surveillés. 

Gallup rapporte que 45 % des employés sont stressés lorsqu'ils ont l'impression de ne pas avoir le contrôle de leur environnement de travail, ce qui a un impact sur leur santé mentale et leur satisfaction globale au travail.

Cela contribue à créer une atmosphère de peur, qui empêche les collaborateurs de s'acquitter de leurs tâches : 68 % des personnes ayant vécu du micromanagement ont déclaré que cela avait sapé leur moral et 55 % ont dit que cela avait nui à leur productivité.

Ce type de management peut aussi avoir des répercussions sur la rétention des talents. En effet, 1 salarié sur 3 quitte son emploi à cause de la toxicité managériale​.

Cela n’est pas sans conséquence pour les cabinets comptables, qui peinent déjà à recruter de nouveaux talents.

Quelques chiffres sur le management toxique en France

2. Un manager toxique manipule et retient l’information

« Ils peuvent volontairement omettre de transmettre des données importantes ou minimiser les réalisations des autres, tout en amplifiant leurs propres succès » - note l’expert.

Non seulement, la rétention d’informations désorganise le travail mais, mais elle nuit également à la confiance au sein de l’équipe. 

En effet, ce manque de transparence peut créer un climat de suspicion et de ressentiment, ce qui, in fine, mine la collaboration et réduit la productivité. 

Une étude réalisée par Walden University a montré que la rétention d’informations dans les équipes pouvait entraîner une diminution de la créativité et de l’innovation, car les membres de l’équipe ne disposent pas des informations nécessaires pour prendre des décisions éclairées et proposer des solutions innovantes.

Enfin, la manipulation des informations par les managers toxiques a également un impact direct sur la motivation des équipes. Les employés qui se sentent exclus des décisions ou mal informés sont moins engagés et peuvent hésiter à partager leurs idées, leurs retours ou leurs préoccupations, ce qui nuit à l’efficacité globale de l’équipe​.

3. Un manager toxique crée une pression psychologique

 « Un manager toxique va ajouter une pression supplémentaire qui va au-delà des impératifs normaux de votre travail »  - explique Patrick Collignon.

Dans le cadre d’un cabinet comptable, un chef de mission qui impose des délais irréalistes ou modifie constamment les priorités compromet l’efficacité de l’équipe et augmente le stress lié aux périodes de forte activité (ex : la préparation des liasses fiscales)

Ou encore, imaginez un manager qui exige que ses dossiers soient traités avant les autres, perturbant ainsi le planning de tout le cabinet et créant des tensions. 

Ce type de comportement ajoute un stress inutile, qui pèse sur l’ensemble des collaborateurs.

Selon Patrick Collignon, ce stress, lorsqu’il devient trop intense, peut entraîner trois types de réactions parmi les collaborateurs :

  • La fuite : le collaborateur tente d’éviter le manager, ce qui peut conduire à des erreurs accrues. « Le stress peut induire des mécanismes d’évitement, qui nous rendent plus vulnérables aux erreurs, car notre énergie est entièrement focalisée sur le fait d’échapper à une menace perçue plutôt que sur la gestion des tâches en elles-mêmes. »

  • La lutte : ici, le collaborateur entre en confrontation directe avec le manager, mais cette rigidité peut bloquer toute communication constructive. « Il devient alors pratiquement impossible de trouver une solution, chacun défendant corps et âme des positions inconciliables, ce qui nuit à l’ensemble de l’équipe. »

  • La paralysie : enfin, certains collaborateurs se figent, incapables de réagir sous l’effet de la pression. Ils finissent par faire ce qu’on leur demande sans réfléchir, au détriment de la qualité du travail.

Lorsque ces réactions s’installent dans le temps, de manière chronique, c’est souvent là que le burn-out vient frapper à la porte.

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Premières étapes pour réagir face à un manager toxique

Il est essentiel de réagir dès les premiers signes pour éviter que la situation ne se détériore et pour préserver votre bien-être au travail. 

1. Se faire confiance : reconnaître ses propres émotions

La première étape pour faire face à un manager toxique est de reconnaître vos émotions et de ne pas minimiser le problème. 

Trop souvent, on a tendance à rationaliser ou à ignorer des comportements toxiques en se disant que ce n'est « pas si grave ». 

L’expert explique : « Si vous ressentez un malaise constant, du stress, ou si vous avez l’impression que les choses ne vont pas, il est crucial de vous faire confiance. Votre ressenti est un indicateur important. » 

2. Vérifier si on est seul

Après avoir reconnu vos émotions, il est important de déterminer si vous êtes le seul à vivre cette situation. Souvent, les autres membres de l'équipe peuvent également ressentir un malaise, mais n'osent pas en parler.

« Si plusieurs collaborateurs se plaignent du même comportement toxique, cela confirme l’existence d’un problème plus large », note l’expert, « mais si vous êtes seul, cela ne veut pas dire que vous êtes fou pour autant. Votre ressenti est valide. » - affirme Patrick Collignon.

Cette reconnaissance collective permet aussi de mieux aborder le problème en équipe, en se soutenant mutuellement, plutôt que de se sentir isolé. 

3. Trouver des alliés et des ressources

Une fois que vous avez vérifié que vous n'êtes pas seul, il est essentiel de trouver des alliés pour vous soutenir. 

Cela peut impliquer de se tourner vers des personnes hiérarchiquement au-dessus de votre manager direct, comme le N+2 ou N+3, lorsque c’est possible. 

En cabinet d’expertise comptable il s’agira de l’expert-comptable, voire du dirigeant et/ou associés du cabinet.

Patrick Collignon conseille également de se tourner vers des interlocuteurs extérieurs : « Tournez-vous vers des personnes neutres comme les ressources humaines (RH), les conseillers en prévention… »

Ces derniers peuvent offrir des solutions plus objectives et comprendre comment gérer la situation de manière stratégique. 

Par exemple en organisant des ajustements dans vos responsabilités : un changement d’équipe ou, dans certains cas, une médiation avec votre manager. 

De plus, elles peuvent fournir un espace sûr pour exprimer vos préoccupations et initier des démarches pour traiter le comportement toxique, si nécessaire.

Enfin, si le soutien interne ne suffit pas, vous pouvez également utiliser des ressources externes comme le coaching professionnel ou des formations spécifiques à la gestion des comportements toxiques. 

Stratégies pour protéger et restaurer les relations professionnelles

Il est important de comprendre que dans la majorité des cas, les comportements toxiques ne sont pas intentionnels. 

Comme l'explique Patrick Collignon : « 85 à 90 % des gens sont toxiques involontairement. Ils ne font pas ‘exprès’. » 

Ces comportements résultent souvent de maladresses, de tensions non gérées ou de pressions extérieures. 

Pensez que les chefs de mission et les experts-comptables n'ont généralement reçu aucune formation en management ; ce sont des techniciens à qui on a confié une tâche qui leur est complètement inconnue : la gestion d'équipe. 

Les nouveaux chefs de mission reproduisent les comportements managériaux qu'ils ont connus et qu'on leur a présentés comme "normaux".

Ce n'est que récemment qu'on a commencé à remettre en doute les méthodes managériales pratiquées dans les cabinets d'expertise comptable, souvent très toxiques.  

Il est donc possible de rétablir une relation plus saine en adoptant des stratégies relationnelles adaptées.

Stratégies relationnelles : Apprendre à rétablir une relation constructive

Patrick Collignon conseille d’adopter des comportements protecteurs pour éviter d’être entraîné dans une spirale de toxicité. 

Il propose par exemple de « s’enlever des relations » quand c’est possible, en mettant de la distance émotionnelle.

Par exemple, si votre manager adopte un ton condescendant ou agressif, ne répondez pas de manière émotionnelle ou défensive. 

Prenez plutôt un moment pour respirer, puis répondez de manière factuelle, en restant concentré sur le travail à accomplir. 

Cela permet de désamorcer la situation sans envenimer les tensions.

Mettre cette distance émotionnelle permet de limiter l’impact de la toxicité tout en conservant une relation de travail respectueuse. 

Vous ne vous engagez pas dans un conflit ouvert, mais vous fixez des limites et protégez votre bien-être.

Ces stratégies incluent également la capacité à fixer des limites claires, par exemple en n'acceptant pas de travailler en dehors des heures convenues ou en demandant des réunions pour clarifier les attentes. 

Ne pas laisser les comportements toxiques envahir le quotidien permet de mieux contrôler l'impact qu'ils ont sur vous.

Reconnaître ses propres comportements

Une autre clé pour restaurer une relation constructive est de reconnaître que nous pouvons aussi, sans le vouloir, adopter des comportements toxiques. 

« La relation managériale est un tango, ça se danse à deux », explique l’expert. 

Cela signifie que dans certaines situations, nous pouvons inconsciemment nourrir cette toxicité. « On peut aussi être intoxiquant, ou représenter une bonne cible », ajoute Patrick Collignon. 

Il est donc essentiel de faire un examen personnel pour s'assurer que nous ne sommes pas nous-mêmes source de toxicité. 

Par exemple, en identifiant si nos réactions face au manager aggravent la situation ou si nous adoptons une attitude défensive ou passive-agressive. 

Apprendre à identifier les comportements toxiques 

Patrick Collignon insiste sur l’importance de reconnaître les mécanismes qui se mettent en place dans des situations toxiques. « Je suis toujours étonné de voir que les gens ne savent pas comment ils fonctionnent, et qu’ils pensent que tout le monde fonctionne comme eux », explique-t-il. 

Cela signifie que, souvent, nous ne comprenons pas les dynamiques relationnelles qui se jouent et les comportements dominants qui émergent.

« Chez les mandrills (le primate incarné par Rafiki dans Le Roi Lion, ndlr), le mâle alpha a le nez le plus rouge, ce qui permet de facilement identifier le dominant. Chez les humains, ces signes sont plus subtils, mais ils existent. Avec un peu d’entraînement, on peut apprendre à reconnaître les comportements de dominance toxiques et anticiper les réactions. »

La neurocognition et les approches comportementales sont des outils puissants pour comprendre ces dynamiques. 

En formant son esprit à reconnaître les signes de la toxicité, il devient possible de gérer plus efficacement les relations et de ne pas se laisser piéger par des comportements dominants ou destructeurs. 

Ne pas rester passif

Le pire comportement à adopter face à un manager toxique est la passivité. « Il ne faut pas se figer en victime, ni supporter longtemps », souligne l’expert. 

Plus on attend, et plus la situation risque de se dégrader.

Il est important d'agir rapidement pour changer la dynamique de la relation. 

Cela peut passer par une discussion ouverte avec le manager, où l'on exprime ses ressentis et propose des solutions concrètes pour améliorer la situation. 

Il peut aussi être utile de chercher un médiateur neutre, comme les RH, si les discussions directes n'aboutissent pas.

Quoi qu’il en soit, l’expert encourage à ne pas rester dans une posture de soumission : « Je ne peux que conseiller de bouger, changer, se mettre à l’action. » 

Si la situation devient ingérable malgré les efforts fournis, il est parfois nécessaire de prendre des décisions plus drastiques pour préserver son bien-être, comme envisager de changer d’équipe ou de cadre de travail.

Le rôle du cabinet

La culture d’entreprise : un rôle crucial dans la prévention

Un environnement où l'erreur est tolérée, et où les collaborateurs se sentent libres de s'exprimer, aide à désamorcer les tensions. 

Patrick Collignon explique : « Si on n’a pas le droit à l’erreur, les gens vont se taire. Mais comment corriger des erreurs dont on n'entend pas parler ? ». 

Dans les cabinets où la collaboration est valorisée, les comportements toxiques ont moins d’espace pour se développer. 

Cela permet non seulement de prévenir les tensions, mais aussi d'encourager l’échange d’idées et de solutions, ce qui renforce la cohésion et l'efficacité des équipes.

Des formations sur la gestion des conflits et une politique de feedback régulier peuvent également être des outils précieux pour renforcer l’ouverture. 

En créant un espace de dialogue constant, les tensions peuvent être gérées avant de dégénérer en conflits sérieux.

Rôle de l’expert-comptable et dirigeants dans la lutte contre la toxicité managériale

La lutte contre la toxicité managériale dans un cabinet comptable n'est pas seulement l'affaire des collaborateurs.

Identifier les signes de toxicité

Les experts-comptables et dirigeants de cabinet doivent être vigilants face à certains signaux qui indiquent une possible toxicité managériale. 

Parmi les comportements à surveiller, on retrouve la rétention d'information. « Si l’information ne remonte pas, ou uniquement via une personne qui se met en avant en permanence, il faut se demander si tout va bien. » - illustre Patrick Collignon.


On peut aussi sonder les équipes : les collaborateurs semblent-ils fuyants ? Énervés ? Abattus ? Si on répond par la positive, alors il y a sûrement quelque chose qui se trame.

Suivre les indicateurs de bien-être au travail

Un outil clé pour les chefs de mission et l’expert-comptable est le suivi des indicateurs de Risques Psycho-Sociaux (RPS). 

Fixés par le rapport Nasse-Légeron de 2008, ces indicateurs de RPS sont notamment :

  • l'absentéisme, 
  • le turnover, 
  • et le présentéisme.

Ils sont souvent révélateurs d’un mal-être collectif ou d'une gestion toxique latente

Par exemple, un turnover élevé peut indiquer que les employés ne se sentent pas écoutés ou soutenus, tandis que le présentéisme (le fait d'être physiquement présent au travail, mais mentalement absent) est souvent lié à des situations de stress ou de harcèlement psychologique.

Favoriser le dialogue direct avec les équipes

« Pour court-circuiter les managers toxiques, il est crucial que le top-management maintienne un dialogue direct et régulier avec ses équipes. » - explique Patrick Collignon

L'une des meilleures manières de contrer la toxicité managériale est de créer des points de contact directs avec les collaborateurs sans nécessairement passer par les managers intermédiaires. 

Cela permet aux collaborateurs de s’exprimer plus librement et de signaler des dysfonctionnements avant que ceux-ci n’affectent durablement leur bien-être et leur productivité.

Des réunions individuelles régulières ou des feedbacks anonymes peuvent être des moyens efficaces d'obtenir un aperçu honnête de la situation. 

« Une boîte à suggestions anonyme est un bon point de départ pour récolter les idées d’amélioration de la collaboration, de la transparence ou de l’ambiance de l’équipe. », note également l’expert, car elle permet aux employés de partager leurs préoccupations sans craindre de représailles. 

…………

La toxicité managériale n'est pas une fatalité. Que ce soit en prenant du recul, en se formant aux dynamiques relationnelles, ou en sensibilisant davantage les dirigeants aux indicateurs de bien-être, la lutte contre la toxicité dans les cabinets comptables commence par une prise de conscience collective.

De plus en plus de cabinets comprennent l'importance d'une culture managériale saine. 

Si le chemin est encore long, il est essentiel de continuer à questionner les modèles en place et à mettre l'humain au centre des priorités. 

Plus nous ouvrons le dialogue sur ces questions, plus nous serons capables de transformer durablement la manière dont nous travaillons ensemble. 🤝

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Pour aller plus loin dans la gestion des comportements toxiques, nous vous recommandons la formation de Patrick Collignon, intitulée Gérer les comportements difficiles ou toxiques. 

Vous y apprendrez à identifier, anticiper et gérer les comportements toxiques dans votre environnement professionnel.

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