Sommaire
Retour sur des affaires qui ont fait parler d’elles
En 10 ans, notamment en France, il est possible de relever plusieurs scandales frappant le monde des affaires.
Ainsi, en 2014, est mis en place un système de fausses factures pour couvrir le dépassement des dépenses de campagne lors de l’élection présidentielle de 2012, c’est l’affaire Bygmalion.
En 2022, la France s’émeut pour les mauvais traitements que subissent des résidents dans des maisons de retraite, c’est l’affaire Orpea. Cette société est alors mise en cause pour ses pratiques de maltraitance envers les résidents et pour détournement de fonds publics.
En 2024 Nestlé est mise sur le devant de la scène pour leur retraitement illégal de leurs eaux en bouteille.
Dans certains cas, les scandales inspirent le droit.
Il en est ainsi de l’affaire Weinstein.
En 2017, plus de 90 actrices accusent le producteur hollywoodien Harvey Weinstein de les avoir violées et agressées sexuellement.
Ce scandale donnera une couverture médiatique sans précédent au mouvement #MeToo, qui prendra en France le nom de #BalanceTonPorc.
Suite aux accusations, puis au procès et à la condamnation de Harvey Weinstein, sa société de production disparaît.
Face aux conséquences désastreuses de cette affaire, faillite d’une société estimée à 200 millions de dollars, nombre d’investisseurs refusent, depuis, de subir les conséquences de de comportements « inappropriés » de la part des dirigeants et managers des entreprises.
Selon un article des Echos reprenant un article de Bloomberg, quelques mois après la révélation de l’affaire Weinstein, des clauses sont apparues dans les accords de fusions & acquisitions (M&A). Ces clauses sont surnommées clauses « Weinstein ».
Qu’est-ce que la clause Weinstein ?
La clause dite « Weinstein » est une clause contractuelle utilisée dans le domaine des fusions & acquisitions pour protéger l’acquéreur d’un risque lié à un ou des comportements inappropriés au sein de la société cible, qu’ils aient été commis par des salariés ou des dirigeants.
C’est une déclaration qui précise que les dirigeants et/ou salariés de la société n'ont jamais été accusés, d'une manière ou d'une autre, de harcèlement ou d'agression sexuelle et qu’ils ne le seront pas.
Il s’agit donc d’une clause de garantie contre les conséquences préjudiciables sur la valeur de l’entreprise cible du fait de comportements non éthiques comme des pratiques de harcèlement sexuel, de discrimination…
Le cabinet d’avocats DUNE, sur son site Internet, explique que, dans le cadre de contrats de M&A, l’acquéreur peut se protéger des risques liés à des scandales de harcèlement ou d’agression sexuelle non déclarés en demandant l’insertion d’une telle clause.
La clause Weinstein engage les actionnaires de la société cible à garantir qu’aucune allégation ou transaction cachant de tels agissements, n’apparaîtront.
Elle apporte l’assurance qu’aucun de ces agissements n’a eu lieu par le passé.
En cas de manquement à cette clause, l’acquéreur sera en droit de demander une indemnisation.
Aux États-Unis, cette clause peut inclure la mise sous séquestre de 10 % du prix d'acquisition pour indemniser l'acheteur en cas de scandale révélé post-transaction.
En Suisse, il existe des clauses générales qui couvrent des risques similaires, comme les litiges liés au blanchiment ou la conformité réglementaire.
En Europe, les compensations prennent la forme de dommages-intérêts proportionnels.
Ces clauses traduisent la vigilance croissante accordée aux risques éthiques et réputationnels dans les transactions d'affaires.
{{newsletter-component}}
Quelle est l’utilité d’une telle clause ?
Nous pouvons identifier plusieurs objectifs ou vertus qu’apporte la clause Weinstein :
- Minimisation du risque de la dépréciation de la valeur de l’entreprise cible pour comportements non éthiques de ses salariés et/ou dirigeants.
- Maintien de la confiance des parties prenantes : les comportements dévoilés des dirigeants des sociétés vont être associés à l’entreprise ; son image auprès des investisseurs, partenaires commerciaux, clients, salariés… en sera dégradée, ce qui pourra affecter la confiance des parties prenantes qui préfèreront se détourner de cette entreprise.
- Maintien de son attractivité : la connaissance de tels comportements aura des conséquences sur l’accès à certaines ressources nécessaires à son développement. L’entreprise rencontrera des difficultés à attirer des investisseurs ou certains talents, ce qui affectera sa capacité à créer de la valeur future par déficit de ressources financières et/ou de ressources humaines.
- Maintien des performances : les salariés pourront ressentir un sentiment de dégoût, de colère réduisant leur implication, leur engagement vis-à-vis de leur travail et de leur entreprise, ce qui se traduira par une baisse de performance.
- Évitement des charges : de tels comportements peuvent entraîner des poursuites judiciaires qui généreront des coûts (frais d’avocats, amendes, versements de dommages-intérêts). Une telle clause, en limitant les mauvais comportements, réduira les risques de poursuites judiciaires et leurs coûts.
- Incitation des individus à adopter des comportements éthiques, responsables, respectueux des droits d’autrui.
- Développement d’une culture : développer des valeurs de respect, d’intégrité au sein des sociétés privées et participer ainsi à une réelle performance sociale.
- Protection de la réputation d’une société : bien qu’immatérielle et difficilement évaluable, la réputation a des conséquences non financières et financières. La clause « Weinstein » préserve la réputation et évite toute perte de valeur.
{{guide-component}}
Le caractère juridique pluridimensionnel d’une clause Weinstein
Clause « Weinstein » et clause de garantie d’actif et de passif (GAP)
Une clause de garantie de passif est une disposition qui, dans les contrats de cession de parts sociales ou d'actions d'une société, cherche à protéger l'acquéreur contre des passifs ou des dettes qui pourraient apparaître après la vente mais qui trouvent leur origine dans des événements antérieurs à la cession. Cette clause évite ainsi les pertes financières liées à des événements inconnus au moment de l’achat comme des dettes fiscales, sociales, litiges. Elle va souvent prévoir une durée, un montant plafond, des modalités.
Ainsi la clause Weinstein, lorsqu’un acquéreur achète une société, demande au vendeur de s’engager en ce qu’aucun dirigeant, salarié n’ait été impliqué dans des faits de harcèlement moral, sexuel…ou tout comportement pouvant engager la responsabilité de la société. Quand il découvre ultérieurement un cas de harcèlement sexuel (par exemple) antérieur à la cession, il pourra demander au vendeur de couvrir les conséquences financières en cas de perte de valeur. Il devra indemniser l’acheteur.
Une clause de garantie d'actif est une disposition incluse dans un contrat de cession d’actions ou de parts sociales qui protège l'acquéreur en garantissant la valeur des actifs de la société cédée que ces actifs soient corporels ou incorporels ou en cas d’absence d’un actif déclaré. Le vendeur engage ainsi sa responsabilité sur la véracité des actifs déclarés. Cette garantie est limitée dans le temps et à un montant fixe.
Clause Weinstein et clause Materiel Adverse Change (MAC)
La clause Material Adverse Change permet à un acquéreur de se rétracter. Il peut ainsi revenir sur sa volonté initiale d’acquérir ou de fusionner avec une société, de renoncer à l’acheter lorsqu’un évènement soudain survient, un changement se produit et qu’il a des conséquences préjudiciables sur sa situation financière. Le contenu de cette clause précise ce qu’on entend par “changement significatif”, le type d'événement et ce qu’est un effet défavorable.
En cas de survenance de ce changement, l’acheteur pourra se retirer de l’accord sans pénalité. Il est ainsi protégé contre des risques qui pourraient altérer la valeur de la société cible.
Ainsi la clause Weinstein insérée dans une clause MAC couvrira un éventail de risques pouvant affecter négativement la société cible avant la finalisation d'une transaction. Ces risques peuvent être un scandale lié à des comportements répréhensibles ou inappropriés (comme le harcèlement sexuel ou des agressions) commis avant la cession, qui pourraient dévaloriser les actifs incorporels ou affecter la réputation de l’entreprise.
Clause Weinstein et devoir de vigilance
En 2017, la loi n°2027-399 crée l’obligation de vigilance qui s’impose à certaines entreprises (qui comptent au moins 5 000 salariés en France ou au moins 10 000 dans le monde) de cartographier les risques liés à leurs activités (mais également celles de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs) notamment ceux relatifs aux droits humains, à la santé, à la sécurité et à l’environnement.
Les pratiques de harcèlement, d’agressions sexuelles portent atteinte à l’intégrité morale et physique des personnes, à leur dignité. Elles rendent précaires l’environnement de travail, sont de nature à faire apparaître des risques psycho-sociaux.
Ainsi, la clause Weinstein s’inscrit dans un devoir de vigilance, celui qu’a l’entreprise de mettre en place des mesures pour réduire les risques d’agression sexuelle, de viol, de harcèlement, que ce soit en son sein, dans ses filiales en France et à l’étranger, ainsi que chez ses sous-traitants et fournisseurs.
Dépassement des frontières juridiques
Les clauses dites Weinstein dépassent le cadre strictement juridique et concernent également le concept de gouvernance d’entreprise.
Ces clauses sont de nature à modifier les comportements des dirigeants et salariés de l’entreprise.
Dans la perspective de ces clauses, les managers, cadres-dirigeants devraient être vigilants, mettre en place des dispositifs de révélation en interne, des campagnes de sensibilisation « aux bons comportements ».
Il est imaginable que des codes de bonne conduite soient conçus, communiqués en interne.
La gouvernance en sera ainsi renforcée.
Il est également possible de relier cette clause avec la RSE (Responsabilité sociale de l’entreprise).
Par le biais de cette clause, l’éthique régit les relations entre les acteurs, les comportements sont davantage respectueux des intérêts de différentes parties prenantes, la violence est réduite.
En contribuant à la pacification des relations sociales au cœur de l’organisation, cette clause s’inscrit dans une démarche RSE de niveau éthique au sens de Caroll.
La portée relative de la clause « Weinstein »
Il est important de noter que cette clause Weinstein n’est pas une arme absolue, qu’elle peut être délicate à utiliser.
De plus, il nous paraît utile de rappeler qu’il existe d’autres dispositifs facteurs d’éthique au sein des entreprises et plus largement des organisations.
Les risques d’interprétation
Des juristes américains, sur le site de Law Insider (en anglais), soulignent des difficultés et incertitudes autour de cette clause et du sens des termes employés, de leur interprétation.
Ils mettent également en évidence la question du temps et donc de la période retenue dans cette clause.
Une autre difficulté est celle des personnes ciblées, quelles sont celles qui en seront exclues ou non et sur quels critères.
On peut se demander dans quelle mesure cette clause est un véritable progrès voire on peut se questionner sur son caractère nécessaire alors qu’il existe des clauses de bonne conduite et d’éthique.
Clause éthique
On peut se demander quel est l’intérêt de la clause « Weinstein » quand il existe des clauses éthiques.
Les clauses éthiques s’inscrivent dans le cadre de la loi Sapin II, par exemple, et visent également à lutter contre le harcèlement et les atteintes aux droits humains notamment.
Elles protègent les investisseurs en fixant des standards de conformité, accompagnés d'obligations de vérification et d'audit pour prouver le respect des engagements.
Diligence sociale
Une diligence sociale est un processus d’évaluation, de vérification de la conformité des pratiques sociales d’une entreprise.
Elle est requise dans les cas de M&A, de levée de fonds, de partenariat stratégique, etc.
Elle va mettre en évidence les risques liés aux ressources humaines (risques sociaux), à la gestion des ressources humaines (GRH) d’une entreprise et à la conformité aux obligations légales en matière sociale.
L’évaluation des pratiques sociales, la cartographie des risques sociaux, par exemple, seront utiles quant à la fixation du prix de cession mais également pour anticiper et gérer les pratiques pouvant affecter la réputation des sociétés.
Là encore, on voit combien la diligence sociale s’inscrit dans un schéma éthique dans le domaine des affaires.
Cet article nous a permis d’expliquer la genèse de la clause dite « Weinstein », de son intérêt tant le domaine des affaires que celui plus large de la gouvernance et de la RSE.
Il nous apparaît important de noter que cette clause fait partie d’une panoplie de ressources juridiques dont disposent les organisations pour réduire les risques, protéger ou améliorer leur éthique et responsabiliser les acteurs sur la portée de leurs comportements.