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Un cas (pas si) isolé : un restaurateur parisien, débordé par ses obligations fiscales et attiré par une offre à prix cassé, confie sa comptabilité à un prestataire trouvé sur une plateforme en ligne. Tout paraît simple et sécurisé. Bilan produit à temps, déclarations fiscales envoyées, aucun stress en vue. Mais voilà : ce prestataire n’est pas inscrit à l’Ordre des experts-comptables. Résultat ? Lors d’un contrôle fiscal, des erreurs majeures sont détectées, entraînant un redressement de 50 000 €. L’entreprise vacille, le restaurateur est anéanti.
Malheureusement, ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Avec des prestations affichées jusqu’à deux fois moins chères que celles d’un expert-comptable agréé, les faux professionnels séduisent de plus en plus d’entreprises, particulièrement des TPE et PME déjà à bout de souffle.
Mais à quel prix ? Ces « solutions miracles » cachent souvent des erreurs comptables, des redressements fiscaux, et dans le pire des cas, des procédures judiciaires qui fragilisent les entreprises.
Plus qu’une simple question de conformité ; c’est une menace pour la crédibilité de tout un secteur ⚠️
Dans cet article, on plonge dans les rouages de l’exercice illégal : pourquoi explose-t-il, quels risques entraîne-t-il et, surtout, comment protéger la profession ?
Des chiffres qui inquiètent
Ces dernières années, l’exercice illégal de la profession d’expert-comptable a pris des proportions impressionnantes. Rien qu’en Île-de-France, plus de 6 000 individus ont été identifiés comme exerçant sans habilitation. Et ce n’est que la partie visible de l’iceberg.
Entre 2008 et 2022, environ 140 signalements ont été enregistrés chaque année. Ces chiffres montrent l'ampleur d’un problème qui, loin de se tasser, se renforce d'année en année grâce à des montages frauduleux de plus en plus sophistiqués.
Les montants en jeu sont tout aussi impressionnants. Dans certains cas, les honoraires générés par des réseaux illégaux dépassent 1,4 million d'euros sur plusieurs exercices, alimentant un système parallèle qui échappe à tout contrôle légal
Le préjudice économique ? Colossal. En plus des redressements fiscaux, les pertes pour les victimes – entreprises, Urssaf ou encore la DGFiP – s’élèvent parfois à plusieurs millions d’euros. Mais l’impact ne s’arrête pas là.
En 2022, certaines condamnations pour exercice illégal ont révélé des liens directs avec des crimes graves tels que le financement du terrorisme et des escroqueries en bande organisée.
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Que veut-on dire par “exercice illégal” ?
L’idée est simple : c’est lorsque quelqu’un joue à l’expert-comptable sans en avoir ni les qualifications ni les autorisations.
Plus concrètement, pour qu’il y ait exercice illégal, quatre critères doivent être réunis :
D’abord, ces prestataires réalisent des travaux comptables (comme la production de bilans ou la vérification des comptes) qui sont normalement réservés aux experts inscrits.
Ensuite, ce n’est pas un service ponctuel : il s’agit d’une pratique régulière, souvent avec plusieurs clients ou sur plusieurs années pour un même client.
Ces individus ne sont (évidemment) pas inscrits au tableau de l’Ordre des experts-comptables, ce qui signifie qu’ils ne peuvent garantir ni compétence, ni éthique, ni assurance professionnelle.
Enfin, leur travail est mené de façon totalement indépendante, sans cadre ni supervision. Cela laisse leurs clients exposés à des risques majeurs, des erreurs dans les comptes aux redressements fiscaux sévères.
Pourquoi ce phénomène explose ?
Le boom de l’exercice illégal ne sort pas de nulle part. Si autant de faux experts-comptables pullulent aujourd’hui, c’est parce qu’ils surfent sur trois grandes vagues : la complexité croissante des normes, la révolution digitale et, évidemment, le coût.
Un labyrinthe fiscal qui étouffe les petites entreprises
Les TPE et PME, c’est le cœur battant de l’économie française. Elles représentent 94 % des 500 000 entreprises franciliennes, mais souvent, elles n’ont ni les moyens ni les ressources pour gérer leurs obligations comptables.
Impôts, taxes, cotisations… à cela s’ajoutent des réformes incessantes, comme l’arrivée de la facturation électronique. Pour ces petites structures, c’est un casse-tête sans fin.
🎯 Prenons une TPE de cinq salariés qui jongle entre la TVA, les cotisations sociales et des bilans à produire. Que fait-elle face à cette montagne ? Elle cherche la simplicité. Et parfois, elle cède aux sirènes de ces solutions « à bas coût » proposées par des indépendants non qualifiés. La promesse d’un service rapide et pas cher est trop séduisante.
La digitalisation : bénédiction ou malédiction ?
📲 On le sait, la digitalisation a bouleversé le secteur comptable.
Parfois en bien : des outils en ligne performants permettent aujourd’hui à presque n’importe qui d’automatiser des tâches complexes.
Parfois en mal : ces mêmes outils ouvrent la porte à des pratiques douteuses, où des individus non qualifiés s’improvisent experts-comptables, masquant leur incompétence derrière des interfaces professionnelles.
On trouve de plus en plus de prestataires en ligne proposant des services comptables automatisés via des plateformes numériques.
Ces sites se présentent souvent comme des outils techniques ou administratifs destinés à simplifier la gestion comptable.
👨💻 Exemple typique : un entrepreneur télécharge un logiciel ou s'inscrit sur une plateforme de comptabilité en ligne, croyant bénéficier d'un service sécurisé et conforme. Derrière l'interface simple, le prestataire fournit des conseils ou réalise des traitements comptables qui, en réalité, nécessitent l’intervention d'un expert-comptable agréé pour garantir la conformité avec la législation fiscale et comptable.
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Le prix, l’éternel appât
Le nerf de la guerre, c’est l’argent. Les faux experts-comptables savent exactement comment séduire les petites entreprises en leur proposant des tarifs jusqu’à 50% moins chers que ceux des professionnels agréés.
Au départ, cela peut sembler être une aubaine. Mais, à long terme, le coût réel est bien plus élevé. Entre redressements fiscaux, amendes, et parfois même des procès, l’économie initiale peut se transformer en gouffre financier.
Les zones d’ombre juridiques qui facilitent l’exercice illégal
L’exercice illégal de la profession d’expert-comptable prospère, en partie, grâce à certaines ambiguïtés juridiques. Ces zones d’ombre laissent la porte ouverte à des pratiques détournées, souvent difficiles à détecter et encore plus à sanctionner.
Ce que dit (et ne dit pas) la loi
L’ordonnance du 19 septembre 1945 est claire sur certains points : seuls les membres inscrits à l’Ordre des experts-comptables sont habilités à effectuer des travaux comptables pour des tiers. Toute infraction est passible de sanctions pénales.
Mais voilà, cette même ordonnance laisse aussi des zones d’ombre, notamment autour des tâches dites « accessoires ».
Saisie d’écritures ou établissement de factures, par exemple, peuvent sembler purement administratifs. Pourtant, dès qu’il y a une démarche intellectuelle (choix comptables, vérification de cohérence), cela relève de l’expertise comptable.
⚠️ Le problème ? Ces tâches paraissent simples, mais leur exécution par des non-professionnels crée un flou juridique. Beaucoup d’entreprises, mal informées, confient ces responsabilités à des prestataires non habilités, sans mesurer les risques encourus.
L’absence de vigilance dans l’économie numérique
De nombreuses plateformes en ligne proposent des services comptables automatisés, souvent avec des mentions vagues comme « validé par un expert-comptable ».
En réalité, ces outils masquent parfois des pratiques qui échappent complètement aux obligations légales. Le client n’a pas de lien direct avec un expert-comptable, et les erreurs, elles, peuvent coûter cher.
Sauf que : aucune régulation stricte ne protège actuellement les utilisateurs de ces plateformes.
Les risques concrets sont pourtant nombreux. D’abord, la dépendance excessive, car les entreprises deviennent captives d’une plateforme et perdent leur autonomie. Ensuite, la méconnaissance du client, puisqu’aucune relation personnalisée n’est établie. Et enfin, l’absence de supervision, avec certains documents qui se retrouvent validés en l’absence de contrôle approfondi.
En fin de compte, ces plateformes ne respectent pas les standards nécessaires à une gestion comptable sécurisée.
L’expert-comptable, lui, se retrouve souvent dans une position de faire-valoir, utilisé comme une simple couverture juridique pour légitimer le service, mais sans aucune implication réelle dans la gestion des comptes.
Des montages frauduleux difficiles à détecter
Certains montages exploitent les failles du système pour donner une apparence de légalité. Exemple courant : un expert-comptable inscrit prête son nom pour des travaux qu’il n’a jamais supervisés. Derrière, ce sont des prestataires non qualifiés qui gèrent tout, sans garantie de conformité.
👀 Pourquoi est-ce si dur à repérer ? Parce que ces pratiques jouent sur la complaisance ou la négligence de certains professionnels habilités. Détecter ces infractions demande des enquêtes complexes et longues.
Les conséquences du recours à un faux expert-comptable
Sur le papier, faire appel à un faux expert-comptable, c’est la promesse d’économies rapides. Mais dans les faits, c’est une bombe à retardement. Que ce soit pour le faux professionnel ou l’entreprise cliente, les conséquences sont souvent lourdes… et coûteuses.
Pour les fautifs : un jeu dangereux
L’usage abusif du titre d’expert-comptable ou de la mention « société d’expertise-comptable » est un délit sévèrement puni. Et ça ne rigole pas :
- 1 an de prison et 15 000 € d’amende pour les individus (article 433-17 du Code Pénal)
- Pour les entreprises impliquées : des amendes pouvant grimper jusqu’à 75 000 €, voire la dissolution pure et simple de la société (article 433-25 du Code pénal)
La récidive ? Encore pire. Les juridictions pénales n’hésitent pas à alourdir les sanctions, et les complices de ces pratiques illégales ne sont pas épargnés. À cela s’ajoutent des sanctions disciplinaires appliquées par le Conseil régional de l’Ordre des experts-comptables.
Bref, le jeu n’en vaut vraiment pas la chandelle.
Pour les entreprises clientes : des risques multiples
💰Le piège des erreurs et des omissions
Confier sa comptabilité à un prestataire non habilité expose à de graves erreurs.
Une comptabilité inexacte ou fictive peut entraîner des redressements fiscaux salés.
Et l’URSSAF, elle, ne fait pas de cadeau : sans justificatifs solides, elle impose souvent un forfait de taxation d’office. Cela peut représenter des sommes astronomiques, surtout pour une petite entreprise.
Quelques chiffres pour vous réveiller : en 2023, les montants récupérés après contrôle fiscal ont atteint 15,2 milliards d’euros – un record historique.
🥊 Aucune garantie, aucun recours
Un faux expert-comptable, ça veut dire zéro contrat valable et zéro assurance professionnelle.
En cas de problème, vous êtes seul face aux conséquences. Impossible de vous retourner contre ce prestataire fantôme, qui disparaît souvent aussi vite qu’il est apparu.
Pourquoi seuls les experts-comptables inscrits à l’Ordre sont habilités à réaliser des travaux comptables :
- Un diplôme reconnu et un serment garantissent leur compétence.
- Ils se soumettent à un code de déontologie et à des contrôles réguliers.
- Ils sont couverts par une assurance responsabilité civile professionnelle, protégeant leurs clients en cas d’erreur.
📸L’image de l’entreprise en jeu
Travailler avec un faux expert-comptable peut laisser des traces, même au-delà des finances.
Investisseurs, clients, partenaires… tous pourraient remettre en question la fiabilité de votre gestion.
Et une réputation abîmée est souvent bien plus difficile à redresser qu’un bilan.
Lutter contre l’exercice illégal : quelles solutions ?
Face à l’essor de l’exercice illégal, l’Ordre des experts-comptables ne reste pas les bras croisés. Bien au contraire, des actions concrètes sont mises en place pour protéger la profession et renforcer la confiance des entreprises dans les services comptables.
D’abord, la Commission Lutte contre l’exercice illégal est le bouclier principal de la profession. Son rôle ? Traiter les signalements, enquêter sur les pratiques douteuses et collaborer avec la justice pour traquer les fautifs.
Depuis 2015, elle a reçu 1 012 signalements, dont 310 se sont traduits par des plaintes officielles. Une preuve que le phénomène est pris au sérieux, même si la route est longue pour éradiquer ces pratiques.
Ensuite, l’Ordre mène régulièrement des campagnes de sensibilisation. L’objectif est clair : expliquer aux entreprises les risques liés à l’exercice illégal et leur donner les clés pour repérer les prestataires non habilités.
📢 Exemple : une campagne marquante en 2020 a mis en lumière les dangers des solutions comptables « à bas coût ».
Ces initiatives permettent non seulement de prévenir les abus, mais aussi de rappeler l’importance de faire appel à des professionnels inscrits à l’Ordre.
Enfin, pour éviter les mauvaises surprises, l’Ordre propose un annuaire officiel des experts-comptables, disponible en ligne. Cet outil pratique permet à toute entreprise de vérifier si un prestataire est bien inscrit au tableau. Simple, rapide et efficace, c’est un réflexe indispensable pour éviter les mauvaises surprises.
Mais lutter contre l’exercice illégal, ce n’est pas seulement l’affaire de l’Ordre. En tant que professionnels du secteur, nous avons tous un rôle à jouer. Cela passe par la vérification rigoureuse de nos partenaires et sous-traitants, une attention constante aux pratiques qui contournent les règles, et surtout, l’application de nos valeurs éthiques au quotidien.