Santé mentale : l’alpha et l’oméga de nos réussites !

Vie & bien-être au travail
L'Actu de la profession
8
min
Publié le
3/2/25

L'auteur de cet article

Eric Berbéres
Après 15 ans de gestion de son propre cabinet puis la co-fondation d'un groupe d'expertise-comptable dans le grand Sud Ouest Eric Berbéres s'est réinstallé en solo avec une seule volonté : travailler en tant que conseil du chef d'entreprise. Une approche consulting avec 4 grandes familles de prestations proposées : gestion de la rentabilité de l'entreprise, la fiscalité personnelle du chef d'entreprise, la protection sociale du chef d'entreprise et de ses ayants droit et la gestion du patrimoine du chef d'entreprise.

Ce que vous allez apprendre dans cet article

Écoutez l’article en version audio

🔉 embed fichier

Sommaire

Michel Barnier, lors de son discours de politique générale en tant que premier ministre, ne s’était pas trompé en proclamant que la santé mentale devait devenir une priorité nationale.

Depuis moins de 10 ans, les alertes se multiplient et la vérité s’installe dans notre paysage comme étant incontestable : la santé mentale des Français est pointée du doigt, que l’on s’intéresse aux salariés ou aux dirigeants d’entreprises 🧠

Les causes sont bien entendu diffuses et multiples mais ce sont les crises répétées qui déjà suscitent de plus en plus d’inquiétude et de stress depuis celle du COVID, d’une ampleur inégalée et magistrale sous bien des aspects.

Par ailleurs, une accélération se mesure au fil des enquêtes répétées, que ce soit auprès des dirigeants d’entreprises françaises ou bien de leurs salariés.

En 2020, une enquête co-dirigée par la CPME, AMAROK et Harmonie Mutuelle a révélé que 17,5% des dirigeants sont confrontés au burn out, soit environ 560 000 dirigeants. 

Et parmi les adhérents de la CPME, 23% des dirigeants étaient alors en risque de burn out !

En 2024, la Fondation MMA des entrepreneurs du futur a interrogé 1500 dirigeants de TPE/PME/ETI afin de connaître leur état de forme physique et psychologique. BPI France s’est également associé à cette démarche, ce qui prouve l’impact et l’intérêt du sujet qui devient sociétal !

Quelques chiffres m’ont interpellé :

  • 37% des dirigeants rencontrent des difficultés à concilier leur vie professionnelle et leur vie personnelle.

  • 47% déclarent ressentir des douleurs au dos et 36 % des troubles du sommeil, alors que 90% se déclarent en bonne et très bonne forme.

  • Les dirigeants de plus de 20 ans d’ancienneté déclarent pour 76% d’entre eux souffrir de troubles et douleurs

  • Pour prévenir la maladie, les répondants ont repris une activité physique régulière (54%) et ont changé leur alimentation (48%)

{{newsletter-component}}

Et chez les experts-comptables, qu’en est-il ?

En 2019, une étude commandée par le CROEC Ile de France auprès d’Amarok avait été réalisée sous forme d’entretiens menés par une psychologue du travail et des organisations auprès de 268 experts-comptables. 

30% des professionnels du chiffre interrogés avouaient être en situation de burn out !

De nombreux signes avant-coureurs du burn-out sont souvent ignorés par les comptables, poussés par les exigences du métier et la culture du travail dans ce secteur. La même année, une enquête forte intéressante a été conduite auprès de 600 experts-comptables et permet de confirmer ce dont on ne parle jamais en réalité :

  • 11% reconnaissent avoir eu un burn out
  • 50% connaissent un expert-comptable qui a eu un burn out
  • 90% des professionnels du chiffre victime d’un burn out n’ont pas été accompagnés
  • 96% des répondant à ce questionnaire n’ont jamais suivi de formation à la prévention au burn out

Quelques chiffres sur le burnout en cabinet comptable

En janvier 2024, le CEG lançait une enquête nationale en ligne auprès des cabinets d’expertise-comptable : cela est devenu le baromètre annuel du CEG et a été préfacé par la présidente du CNOEC, Cécile de Saint Michel et par le président de France Défi, Philippe Guermeur. Quelques chiffres intéressants :

  • Le moral des experts-comptables était bon, notamment celui de leurs collaborateurs, de leur point de vue. Or ces derniers se plaignaient en réalité des conditions de travail, de la pression excessive, des faibles rémunérations et des inquiétudes sur l’avenir de leur métier. En appui de ce dernier point, 53% des répondants déclaraient avoir des postes vacants dans leur cabinet, entraînant une surcharge de travail.

  • 22% des cabinets de moins de 10 collaborateurs anticipaient une perte de chiffre d’affaires future. 

{{guide-component}}

Burn out chez les experts-comptables, les facteurs déclenchants

Revenons avant tout au contexte qui peut conduire à générer des impacts sur la santé mentale des experts-comptables. Il va de soi qu’ici sont mis en avant des aspects qui fort heureusement ne touchent pas toute notre communauté professionnelle.

Charge de travail et pression professionnelle

La charge de travail est souvent considérable. Ils sont constamment soumis à des pressions importantes pour atteindre des objectifs de performance, respecter des délais stricts et gérer des imprévus

Pour les experts-comptables, cette pression est amplifiée lors des périodes critiques, comme la clôture annuelle des comptes, les multiples échéances des déclarations fiscales et sociales mais aussi juridiques, ainsi que l'accompagnement des entreprises en difficulté par exemple.

La surcharge de travail peut également s’accompagner d’une disponibilité pour le travail quasi permanente, avec des journées prolongées et des soirées passées à répondre à des urgences. Cette sollicitation à forte intensité limite par ailleurs les moments de déconnexion, favorisant ainsi l’apparition de troubles comme le stress chronique ou le surmenage

Au-delà d’un constat inquiétant sur la baisse du temps dédié au sommeil, c’est ce dernier qui est souvent le plus touché alors qu’il est vital d’avoir de bonnes nuits. 

Isolement et responsabilités accrues

Le rôle de dirigeant est souvent associé à un certain isolement

Les dirigeants doivent prendre des décisions stratégiques, parfois lourdes de conséquences, sans pouvoir toujours partager leurs inquiétudes ou obtenir un soutien immédiat. 

Pour les experts-comptables, cet isolement est accentué non seulement par leur obligation de conseil, ce qui peut créer une forte pression morale, mais aussi par les inquiétudes qu’ils doivent affronter en menant dans la bonne direction leur cabinet à une époque de grande transformation du métierIls portent ainsi la responsabilité du bien-être de leurs équipes, de la satisfaction des clients et de la pérennité de leur structure. 

Ces responsabilités cumulées contribuent à un sentiment d’écrasement, notamment lorsque le contexte économique est morose comme actuellement.

Contexte économique et incertitudes réglementaires

Le climat économique incertain, marqué par des crises successives (pandémie, inflation, augmentation des coûts énergétiques), a multiplié les difficultés pour les entreprises. 

Les experts-comptables se retrouvent souvent en première ligne pour accompagner leurs clients dans la gestion de ces incertitudes, ce qui ajoute une pression supplémentaire. Le retard pris notamment sur le PLF 2025 ainsi que les errements récents politiques quant à la nomination de deux gouvernements successifs en moins de quatre mois ont forcément ajouté un degré d’incertitude source de stress. 

De plus, les évolutions réglementaires constantes ne font que rendre difficile la tâche des cabinets français pour eux-mêmes mais surtout leurs clients, qu’ils accompagnent au quotidien et exigent un investissement considérable en termes de formation, de mise à jour des compétences et d’adaptation des outils. 

Cette surcharge peut provoquer un sentiment d’épuisement, surtout après une crise majeure comme le COVID qui finalement n’a pas été totalement digérée encore à ce jour. 

Impact sur la vie personnelle

La frontière entre vie professionnelle et vie personnelle est souvent floue chez les dirigeants, y compris pour les experts-comptables. 

Les longues heures de travail, les responsabilités à rallonge et les imprévus laissent peu de temps pour les loisirs, la famille ou les amis. 

Ce déséquilibre peut conduire à des tensions familiales et à un sentiment de solitude, aggravant les risques de troubles de santé mentale. 

Aucune enquête directement à l’écoute des dirigeants des cabinets n’a été menée mais on a des informations claires et établies pour la population des salariés. 

En atteste le baromètre 2023 « Santé des salariés et qualité de vie au travail » publié par Malakoff Humanis qui témoigne notamment que 62% des salariés en France voient leur santé mentale atteinte en raison de l’intensité du travail et de l’impact du temps de travail sur leur vie, un salarié sur deux se sentant épuisé professionnellement. 

baromètre 2023 « Santé des salariés et qualité de vie au travail » (Malakoff Humanis)
source : baromètre 2023 « Santé des salariés et qualité de vie au travail » (Malakoff Humanis)

Stigmatisation et faible accès au soutien

Malgré la prise de conscience croissante autour de la santé mentale, les dirigeants hésitent souvent à demander de l’aide par peur de paraître faibles ou incompétents

Iris Ramos, fondatrice de l’association STEP (Santé au Travail des Entrepreneur.e.s par la Prévention), réseau qui accompagne sur le territoire les dirigeants, témoigne ainsi dans Les Echos les Entrepreneurs  que :

« La santé des patrons des petites et moyennes entreprises reste trop souvent un sujet délaissé. Rappelons que la prise en compte de la santé du dirigeant est entrée dans la législation avec la loi santé au travail du 2 août 2021 et que depuis cette date uniquement, il est proposé un accompagnement par les services de santé au travail. Ni la médecine du travail, ni les médecins généralistes, ni les psychologues libéraux ne sont organisés de manière à répondre aux contraintes d'un entrepreneur et à proposer un accompagnement complet. Les demandes explosent pourtant. À Tours, nous avons une vingtaine d'appels de dirigeants par semaine, sachant que nous pouvons en accompagner dix par mois. Deux tiers des dirigeants ne vont chez le médecin qu'en cas de problème alors que les facteurs de stress liés aux difficultés d'approvisionnement, à la flambée des prix de l'énergie, aux incertitudes géopolitiques n'ont jamais été aussi nombreux »

Cette réticence, combinée à une méconnaissance des dispositifs d’accompagnement, limite leur accès aux ressources disponibles, tels que le coaching, la sophrologie, la thérapie psychologique ou les groupes de soutien.

Personnalité et perfectionnisme

De nombreux dirigeants, notamment dans des professions techniques comme l’expertise comptable, possèdent une forte exigence de perfection

Les journées se suivent avec souvent des injonctions intérieures ou des exigences difficiles à tenir dans la durée quant à la perfection des prestations et des travaux réalisés mais aussi le niveau de qualité attendu difficilement réalisable.

C’est d’ailleurs une des raisons du développement d’un micro-management au sein des cabinets qui fait fuir les collaborateurs activant un turn over constaté par toute notre profession.

Ce trait de personnalité assez répandu peut devenir un handicap lorsqu’il conduit à une incapacité à déléguer, à une autocritique excessive ou à une fixation sur des détails mineurs. 

Ces comportements amplifient le stress et prédisposent aux épisodes d’anxiété ou de dépression.

Préconisations ou solutions possibles

Il y a toujours des solutions en cas de situations de difficultés, c’est forcément en ce sens qu’il faut avancer et positivement. Nous en proposons un certain nombre afin de donner des pistes de réflexion ou d’amélioration en fonction des professionnels et de ce qu’ils ont peut-être déjà entrepris voire accomplis :

1. Gérer efficacement son temps et ses priorités

  • Déléguer intelligemment : Apprendre à faire confiance à son équipe et déléguer certaines tâches techniques ou de gestion interne du cabinet pour se concentrer plus sur les aspects stratégiques de l’activité, malheureusement d’autant plus délaissés que le cabinet est de petite taille
  • Prioriser les tâches essentielles : Identifier les missions à forte valeur ajoutée et limiter les distractions (emails non urgents, sollicitations constantes…).
  • Planifier les périodes de forte charge : Anticiper les périodes clés (clôtures, déclarations fiscales) pour répartir la charge de travail et éviter les « coups de rush » désorganisés.

2. Mettre en place des outils de gestion efficaces

  • Automatiser les processus : Investir dans des logiciels de comptabilité performants (gestion documentaire, automatisation des tâches récurrentes, analyse prédictive) pour réduire les charges répétitives.
  • Facture électronique : Préparer l’adoption des nouvelles obligations réglementaires (comme la facture électronique en 2026) en amont pour éviter le stress lié à la mise en conformité.
  • Indicateurs de suivi : Mettre en place des tableaux de bord pour monitorer la performance de l’activité, anticiper les besoins et éviter de travailler en mode réactif.

3. Adopter des pratiques favorisant la déconnexion

  • Fixer des limites claires : établir des horaires de travail raisonnables et éviter de répondre systématiquement aux emails ou appels en dehors des heures prévues.
  • Préserver des moments de repos : planifier des congés réguliers et respecter ces périodes pour se déconnecter et se ressourcer.
  • Digital Detox : se donner des moments sans écrans (par exemple, en soirée) pour limiter la surcharge cognitive.

4. Cultiver un équilibre entre vie professionnelle et personnelle

  • Encourager les loisirs et activités physiques : s'impliquer dans des activités extra-professionnelles (sport, musique, lecture, etc.) pour évacuer le stress et maintenir un équilibre sain.
  • Soutien social : maintenir un cercle d’amis, de famille ou de pairs avec qui partager ses préoccupations ou simplement se changer les idées.
  • Coaching ou thérapie : ne pas hésiter à consulter un professionnel (coach, sophrologue, psychologue…) pour apprendre à mieux gérer le stress ou pour surmonter les moments difficiles.

5. Investir dans son développement personnel

  • Apprendre à dire non : refuser certaines missions ou clients peu rentables ou trop exigeants pour préserver son équilibre de vie et la qualité de son travail.
  • Se former régulièrement : développer ses compétences techniques et managériales pour anticiper les évolutions du métier et se sentir confiant face aux nouveaux défis.
  • Prendre du recul sur sa pratique : participer à des groupes de discussion ou des réseaux professionnels (au sein des CROEC mais aussi des syndicats professionnels ou bien des associations départementales par exemple) pour échanger sur les bonnes pratiques et se sentir moins isolé.

6. Créer un environnement de travail sain

  • Encourager une bonne dynamique d’équipe : créer un climat de collaboration et de bienveillance au sein du cabinet, où les collaborateurs se sentent valorisés et écoutés.
  • Adapter l’espace de travail : aménager un espace confortable, ergonomique et propice à la concentration.
  • Flexibilité du travail : introduire des options comme le télétravail ou des horaires aménagés pour offrir plus de souplesse à soi-même et à son équipe.

7. Développer des ressources de résilience personnelle

  • Pratiques sportives : les encourager au sein de son cabinet, notamment en participant à des challenges par équipe
  • Pratiques de relaxation : intégrer des techniques comme la méditation, la cohérence cardiaque ou le yoga pour mieux gérer les périodes de tension.
  • Gestion des émotions : se former à des outils de gestion émotionnelle pour ne pas laisser le stress ou la frustration affecter son quotidien.
  • Vision long terme : se rappeler de ses objectifs personnels et professionnels pour relativiser les obstacles du quotidien.

8. Anticiper les risques grâce à un accompagnement professionnel

  • Mentorat : rechercher un mentor ou un conseiller expérimenté pour bénéficier de conseils sur la gestion du métier d’expert-comptable et ses défis.
  • Collaborer avec d’autres professionnels : partager la gestion de certaines responsabilités avec d’autres experts-comptables ou partenaires (exemple : externalisation de certaines fonctions techniques).

On ne peut, ni au présent ni au futur, malheureusement, faire disparaître tout risque de santé mentale des dirigeants des cabinets. 

Pour autant, une prise de conscience est en cours de réalisation, favorisée également par les nouvelles générations de collaborateurs qui ne veulent plus de contexte de travail envahissant et provoquant une intrusion structurelle dans la sphère personnelle !

Il est surtout très important d’être à l’écoute de tout signal faible qui pourrait orienter son analyse sur le fait qu’une charge mentale trop forte est en train de s’installer.

En suivant certains des principes évoqués dans la dernière partie de cet article, un expert-comptable peut non seulement protéger sa santé mentale, mais aussi renforcer son efficacité et sa satisfaction au travail. Ainsi que celle de ses collaborateurs. Ces pratiques favorisent une évolution équilibrée dans un environnement exigeant. Un certain nombre de confrères se sont engagés dans cette voie parce qu’à l’évidence cela répond en partie aux préoccupations que l’on rencontre dans la plupart des cabinets français.

Et vous ? C’est pour bientôt ?

Notre dernier guide
IA & Compta : notre guide en 7 actions pour ne pas rater le virage de l’Intelligence Artificielle
Télécharger le guide
Image de l'ebook de Coonter

Sommaire

Aller plus loin

Clause Weinstein : quand un scandale sexuel inspire le droit
L'Actu de la profession
Montée en compétences & carrière
11
min
Téléphone au travail : mesure-t-on vraiment les risques ?
6
min
Faux experts-comptables et vrais risques : boom de l'exercice illégal en France
8
min
Théorie X et Y : l’humain travaille-t-il par plaisir ?
6
min